Le 17 mars 2022, le ministère de l’Administration territoriale du Mali a décidé de “suspendre, jusqu’à nouvel ordre la diffusion de RFI en ondes courtes et FM, et de la télévision France 24, ainsi que, toutes leurs plateformes digitales sur toute l’étendue du territoire national”. Dans la foulée, il a interdit “à toutes les radios et télévisions nationales, ainsi qu’aux sites d’information et journaux maliens, la rediffusion, et/ou la publication des émissions et articles de presse de RFI et de France 24 dès l’entrée en vigueur de la mesure de suspension”.
Qu’est-ce qui a poussé Bamako à prendre une telle décision ? De fausses allégations de la part des médias français “faisant état d’exactions commises par les Forces armées maliennes (FAMA) contre des civils, de violation des droits de l’homme et du droit international humanitaire”. Le communiqué des autorités maliennes ajoute que “ces allégations sans aucun fondement ont été publiées respectivement à travers une déclaration de Mme Michelle Bachelet, Haute-commissaire des Nations-Unies aux droits de l’homme, le 08 mars 2022, un rapport de Human Right Watch, le 15 mars 2022, et un reportage de la Radio France internationale (RFI), le 14 et 15 mars 2022”. Pour le gouvernement de transition, ce matraquage médiatique n’a pas d’autre but que de “déstabiliser la transition, démoraliser le peuple malien, discréditer les vaillantes FAMA et semer la haine en ethnicisant l’insécurité au Mali”.
Comme il fallait s’y attendre, l’Etat français n’est pas resté les bras croisés. C’est d’abord France Médias Monde (FMM), la maison mère de RFI et France 24, qui a réagi. Après avoir déploréla décision du gouvernement malien, elle a protesté “contre les accusations infondées mettant gravement en cause le professionnalisme de ses antennes” tout en rappelant “son attachement sans faille à la liberté d’informer comme au travail professionnel de ses journalistes”. Ce fut ensuite au tour du Quai d’Orsay de “condamner, par respect pour la mémoire des victimes du génocide des Tutsi au Rwanda, l’amalgame inacceptable et irresponsable fait par les autorités de transition avec la Radio Mille Collines”. Quant à Emmanuel Macron, il a demandé à la CEDEAO (présidée par le très faible président du Ghana Nana Akufo-Addo, ndlr) et à l’Union africaine (présidée par le “grand ami” de la France Macky Sall, ndlr) de “prendre les décisions qui conviennent, et que la France appuiera comme nous l’avons fait à chaque fois, pour que à la fois les violences et la fermeture, le déni de l’information et du droit des journalistes à librement informer puissent cesser”.
Ce que nous pensons de la décision du gouvernement malien
Vu que l’objectif des mensonges distillés par RFI et France 24 est de discréditer les autorités maliennes, de soulever la population contre elles et de les faire tomber, le gouvernement malien est en droit de juger ces deux médias aussi dangereux que la tristement célèbre Radio « Mille collines » du Rwanda. Devrait-il se montrer ferme ? Bien sûr que OUI. Nous saluons donc la riposte des dirigeants de la Transition, même si nous la trouvons timide car, pour nous, il eût fallu fermer carrément cette radio et cette chaîne dont la nocivité et le parti pris ne sont plus à démontrer.
Selon Geneviève Goëtzinger, ancienne directrice générale-adjointe de RFI, “suspendre un média est toujours une faiblesse”. J’eusse aimé que la bonne dame protestât contre l’interdiction de « Sputnik » et « Russia Today » en Europe et qu’elle traitât les pays européens de faibles et d’anti-démocratiques. Malheureusement, elle brilla par un silence indigne.
Elle et d’autres partisans du deux poids, deux mesures devraient savoir que la vraie faiblesse consiste à passer par la CEDEAO et l’Union africaine, deux organisations fantoches, pour faire reculer les autorités maliennes. Si Macron était aussi fort qu’il essaie de le faire croire à ses compatriotes, il aurait dû régler le problème directement avec Assimi Goïta. Dommage qu’il tarde à comprendre que son pays n’a pas affaire à des faibles d’esprit en Afrique mais ce problème ne regarde que lui. Notre tâche, aujourd’hui, à nous Africains, c’est de répondre du tac au tac, de pratiquer la réciprocité, de ne plus laisser les Européens déverser des mensonges sur nous ou nous piétiner. La loi du talion (œil pour œil, dent pour dent), déjà présente dans le Code d’Hammourabi (1792-1750 avant J.-C.), doit leur être appliquée. Les chrétiens pourraient être choqués par une telle recommandation. Ils conseilleraient plutôt que l’on triomphe du mal par le bien, que l’on ne rende pas coup pour coup, bref que la victime tende l’autre joue. Mais, Jésus a-t-il vraiment demandé de ne pas résister au méchant ? A-t-il tendu l’autre joue lorsqu’un garde le gifla pendant son procès (Jn 18, 23) ?
Une bonne compréhension du précepte de Jésus
Thomas d’Aquin nous apprend que ni Jésus ni Paul (Ac 16, 22) n’ont tendu l’autre joue. Pour sa part, Denis Kennel insiste sur le fait que l’invitation à aimer nos ennemis et à prier pour ceux qui nous persécutent ne nous dispense pas de protéger les plus faibles, de résister au mal ou de défendre le malheureux. Pour lui, il ne s’agit ni d’être passif ni de se résigner mais de lutter contre le mal avec les moyens du Christ, c’est-à-dire, “attaquer avec amour la conscience de l’autre pour sortir de la spirale de la violence” (https://evangile21.thegospelcoalition.org/article/tendre-lautre-joue/).
Michel Johner, lui, fait une distinction entre l’individu et la communauté comme en témoigne le passage suivant : “Tout ce qui est en deçà du talion ne peut relever que du don et de la générosité personnelle. Ce sont des comportements auxquels personne ne saurait être contraint, au titre du droit, ni d’ailleurs contraindre les autres. On ne peut pas confondre l’éthique personnelle et prophétique du disciple de Jésus-Christ avec une éthique sociale propre à gérer les rapports de force dans une société résolument rebelle à l’ordre de Dieu.” Le doyen de la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence ajoute : “C’est le même Seigneur qui, en Romains 12, m’appelle à tendre la joue droite lorsqu’on me frappe la gauche, et qui, quelques versets plus loin, en Romains 13, appelle le magistrat à sanctionner, en son nom, cette même agression lorsque celle-ci relève du domaine pénal. Il n’y a pas de contradiction entre les deux. Jésus ne disculpe pas la violence sociale (en l’occurrence gifler, prendre la tunique ou réquisitionner). Il ne la dépénalise pas. Le point de vue qu’il aborde, ici, c’est uniquement celui de l’individu lésé ou agressé. Et, si tant est que celui-ci veuille réagir en disciple, Jésus l’appelle à manifester sa liberté par une qualité de réaction qui portera le bien à triompher du mal. Il n’est pas ordonné aux disciples de Jésus, dans le Sermon sur la montagne, d’hypothéquer les intérêts des autres, et encore moins ceux des groupes qui auraient été confiés à leur garde, dans le cadre d’une responsabilité sociale : dans le cadre d’une entreprise, les droits de leurs employés ; dans le cadre politique, les droits des citoyens qui leur ont confié la gestion de leurs intérêts ; dans le cadre de l’armée ou de la guerre, les droits des hommes qui sont sous leur commandement, etc. Tous ces droits, qui ne leur appartiennent pas, l’évangile ne les autorise pas à en faire don à des tiers.”
On peut penser que c’est pour défendre ses intérêts que la France a interdit les médias russes sur son territoire. Pourquoi, au nom de ce qui est bon pour eux, la Russie et le Mali n’agiraient-ils pas autant ? Pourquoi devrait-on s’offusquer de les voir pratiquer la loi du talion ? “Avant de vouloir gouverner le monde chrétiennement, veille à le peupler de chrétiens”, conseillait Martin Luther. Or, les chrétiens sont moins nombreux que les musulmans au Mali. Et, même s’ils constituaient une écrasante majorité, ils vivent dans un Etat laïc, c’est-à-dire, un Etat appelé à ne favoriser aucune religion. Les chrétiens du Mali sont libres de pardonner les crimes et l’arrogance de la France mais il serait malvenu de demander à ceux qui dirigent l’Etat malien de tendre l’autre joue quand ils sont moqués, insultés ou méprisés.
Jean-Claude DJEREKE
est professeur de littérature à l’Université de Temple (Etats-Unis).