EGYPTE : Changement du bras financier du régime sous l’étroite surveillance de Washington

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Juillet 2007, le 14 exactement. Nicolas Sarkozy, nouvellement élu président de la République, deux mois auparavant, invite pour son premier défilé, en tant que chef suprême des armées françaises, l’émir du Qatar, Cheikh Hamad Bin Khalifa Al-Thani. L’événement qui mérite d’être commenté et analysé comme il se doit, ne serait-ce qu’au niveau du symbolique qu’il représente, passe totalement inaperçu, la presse ne s’intéressant qu’à ce qui différencie cette première prestation de Nicolas Sarkozy avec ce qu’on avait l’habitude de voir sous Jacques Chirac et plus loin sous François Mitterrand. Pour tant, si l’émir est invité deux mois seulement après le succès de Sarkozy au défilé du 14 juillet, fête prestigieuse s’il en est, ça veut dire que ces deux hommes d’Etat se connaissent depuis longtemps. Mais de quelle manière puisqu’avant de devenir président de la République, Sarkozy n’était que ministre par mi tant d’autres ministres de Jacques Chirac. L’émir Bin Khalifa aurait-il été récompensé par le nouveau locataire de l’Elysée pour avoir été un bienfaiteur de sa campagne ?

La suite de cette relation franco-qatarie, on la connaît cinq sur cinq : la déstabilisation de la Libye, principal succès de cette coopération nocturne, mais aussi quelques offensives spectaculaires qui ont eu pour but d’orienter ailleurs l’attention des observateurs, comme l’attribution, grâce aux méthodes qataries jugées peu orthodoxes, de la phase finale de la coupe du monde de football de 2018, le rachat fracassant par l’émirat du club de football le plus prestigieux de France, le Paris Saint-Germain. Une opération conseillée par Nicolas Sarkozy destinée, sur tout, à brouiller les cartes et à présenter une image de bienfaiteurs des nouveaux acquéreurs. Il en est de même de la création d’un fonds d’une cinquantaine de millions d’euros destiné à financer des projets des jeunes de banlieue notamment en région parisienne. Pas mal par ces temps de chômage en France.

La chute des régimes trentenaires (Egypte et Tunisie) ou même quarantenaire (Libye) avait maladroitement voire hâtivement été qualifiée de « printemps arabe ». En guise de printemps, en réalité, il n’y en eut point. Avec le recul, aujourd’hui, on se rend bien compte, sans enlever sa par t à la vivacité des populations qui sortaient dans la rue pour défier les dictatures concernées, que le basculement des choses pour permettre la chute des régimes des trois pays d’Afrique du Nord, venait d’ailleurs. En d’autres termes, le dictateur tunisien, Zine el Abidine Ben Ali, et le vieil autocrate égyptien, Hosni Moubarak, n’ont été lâchés par leurs services de renseignement et leurs armées qu’ils avaient pour tant façonnés à leur image, uniquement, à la demande des Américains. Et si les autorités américaines se sont résolues à les lâcher, c’est parce qu’elles savaient que leurs successeurs seraient toujours sous leur contrôle. Washington ne perdait rien au change avec l’arrivée des islamistes au pouvoir en Tunisie et en Egypte. Au contraire, tout était bénéfique pour les Américains dans la mesure où les ser vices de communication de Oncle Sam ont passé le temps à nous montrer comment la secrétaire d’Etat, Hillary Clinton, et le chef de la Maison Blanche, Barack Obama, favorisaient l’instauration de la démocratie, n’hésitant pas à sacrifier jusqu’à leurs proches alliés, comme cela n’avait jamais été le cas auparavant. Mensonge d’Etat !

Comme bras financiers de toutes ces opérations de déstabilisation grandeur nature, le (petit) Qatar, avec ses 200.000 habitants, mais, avec ses 110 milliards de dollars de recettes de gaz et de pétrole bon an mal an. Avec un tel trésor à la disposition des basses œuvres pour lesquelles le Qatar tire son épingle du jeu, que demander de plus quand on est le président des Etats-Unis ? Pour tant, c’est cet émir que Washington a sommé de démissionner et qui a, contre toute attente, abdiqué au profit de son fils ce mois d’août (lire Islamisme : l’émir du Qatar contraint la démission ? dans le numéro 371-372 d’Afrique Education).

Bras financier des islamistes au pouvoir en Tunisie, en Libye et en Egypte jusqu’à la chute du président Mohamed Morsi, le Qatar qui avait consacré jusqu’à 8 milliards de dollars sur ses 110 milliards de recettes annuelles en ventes de gaz et de pétrole en 2012, va se faire remplacer par l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis, autres bras financiers de l’islamisme triomphant, qui ont promis d’allouer 5 milliards de dollars à l’Egypte pour éviter son écroulement. Eternel parrain et surveillant de cette œuvre de bienfaisance, l’incontournable Oncle Sam.

Avec la mise à la retraite d’office de l’émir Cheikh Hamad Bin Khalifa AlThani pour de multiples autres raisons par les Américains, raisons que nous ne donnerons pas, le Qatar ne servira plus de (très grossier) bras financier du djihadisme, notamment, au Nord-Mali, comme votre bimensuel préféré l’a toujours déploré. Rappelons qu’après sa main-mise sur le Nord-Mali et la chute d’Amadou Toumani Touré, un général qui avait fini par s’embourgeoiser et qui a été rattrapé à la fin par son mauvais travail à la tête du Mali, le Nord de la Côte d’Ivoire allait, à son tour, être attaqué au point qu’Abidjan s’inquiétait déjà, à voix basse, des connexions qui commençaient à se nouer entre certains amis de Laurent Gbagbo, le président destitué (beaucoup plus par sa bêtise que par la haine que lui vouaient ses adversaires politiques) et des islamistes maliens. En menant la lutte comme président en exercice de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) contre l’invasion du Nord-Mali, le président Alassane Ouattara, en réalité, plaidait d’abord et avant tout pour sa propre chapelle : la Côte d’Ivoire qu’il savait en ligne de mire des islamistes.

Les prochaines semaines vont donner de précieuses indications sur la tournure que pourraient prendre les événements dans la partie Nord de l’Afrique où la situation est loin d’être maîtrisée, les Frères musulmans égyptiens n’entendant pas être ainsi sacrifiés alors qu’ils pensent avoir suivi à la lettre, la « feuille de route » sous l’égide du très distingué ancien fonctionnaire du Pentagone, Mohamed Morsi. Pendant un an, on n’a pas entendu le tonitruant premier ministre israélien Bibi Netanyahu tempester. Quand il râlait ou proférait des menaces, c’était contre les mollah iraniens. Sachant que Morsi, un allié (plus) « sûr » que Moubarak était à la tête de l’Egypte, il n’y avait guère de raison de s’inquiéter. Maintenant où l’Egypte a de for tes chances d’être dirigée par un président démocratiquement élu (comme Mohamed Morsi) mais sans être véritablement sous la coupe des Américains (comme Mohamed Morsi), l’autre monde arabe, celui qui n’est pas dirigé par des dictatures monarchiques vieillissantes, pourrait trouver en ce nouveau venu au pouvoir au Caire, un digne successeur des révolutionnaires de la trempe de Gamal Abdel Nasser, de Saddam Hussein, de Hafez el Assad et autres Ayatollah Khomeiny. En ce temps, il y aurait de sérieuses raisons d’inquiétude du côté de Tel Aviv.

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