FINANCE MONDIALE : Nécessité de sa relocalisation pour le bénéfice de l’écologie, du social et de la démocratie

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La finance internationale dirige le monde, notamment, parce que c’est le sang du système économique. Le marché financier se compose de nombreux marchés, dont les marchés en actions, en obligations, les marchés de produits dérivés, les marchés des changes, les marchés de matières premières (métaux, agricoles…). De plus, les marchés financiers incluent une partie des investissements directs à l’étranger (IDE). Or, la puissance des marchés financiers a des conséquences parfois positives et souvent négatives sur les emplois, les conditions de travail, l’empreinte carbone et sur l’autonomie économique donc aussi sur la démocratie nationale. Or, pour remédier à ces problèmes, il existe des solutions pour réguler les marchés financiers, comme nous allons le voir.

Relocaliser la finance internationale renforcerait l’autonomie économique des nations. « En théorie, la libre circulation des capitaux n’a pas que des inconvénients. Elle est même censée faciliter le bon fonctionnement des économies. Le premier avantage attendu est de permettre une utilisation des capitaux disponibles là où on en a le plus besoin, ce que les économistes appellent l’allocation optimale des capitaux. Si les capitaux peuvent sortir de leur territoire national d’origine, ils ont a priori la possibilité de financer des projets utiles et efficaces partout dans le monde. D’une manière générale, la libre circulation des capitaux permet aux pays qui disposent d’un surplus d’épargne de le transférer vers les pays qui en manquent et en ont besoin. Il devrait en résulter plus de croissance et plus d’emploi pour tous… »1.

Cependant, l’histoire nous montre que la dérégulation financière pèse en particulier sur les pays en développement. Par exemple, « la crise mexicaine de 1994 a souligné les risques du financement d’un déficit extérieur élevé par une épargne instable (…). En 1994, les investisseurs ont considéré que le taux de change de la devise mexicaine était largement surévalué, et ont brutalement retiré leurs capitaux. Ce qui a généré une grave crise de financement et le flottement de la devise mexicaine. De même, « la crise asiatique a été déclenchée par les attaques spéculatives contre la monnaie thaïlandaise, le baht, forçant le pays à abandonner son ancrage au dollar et à dévaluer en juillet 1997 »2.

Les inconvénients de la libéralisation des flux financiers sont multiples : « Attaques spéculatives contre les taux de change, instabilité des financements, volatilité accrue des taux d’intérêt, diktat des marchés sur les politiques économiques, la libre circulation des capitaux dans le monde semble n’apporter que son lot de malheurs et de contraintes. Cependant, les détenteurs de capitaux, les institutions financières, les chefs d’entreprise et les gouvernements y trouvent leur avantage. La circulation des capitaux n’est-elle pas un phénomène nouveau. Les mouvements de capitaux internationaux sont nés il y a cinq siècles, en même temps que le capitalisme. Après la révolution industrielle, l’économie mondiale a connu à la fin du XIXe siècle une période de forte mobilité des capitaux, supérieure à celle que l’on connaît aujourd’hui »3.

Les flux de capitaux n’ont finalement diminué que durant les années 1930, suite au crack de 1929, à la crise qui a suivi et à la montée des nationalismes et du fascisme que les flux. Cependant, il ne faudrait pas en conclure que réguler les flux de capitaux relève d’une politique nationaliste ou d’extrême droite. En effet, il peut aussi être un des axes d’une politique sociale. L’accélération des flux financiers s’est produite avec leur libéralisation, dans les années 1960-1970. La deuxième étape s’est produite au début des années 1980 avec l’accélération des politiques néolibérales mondialisées. Cette intégration des acteurs financiers, c’est à dire, leur plus grande mise en interrelation accroit aussi leur fragilité, puisqu’un krach boursier dans une nation peut se répandre au monde entier.

Il existe de nombreuses propositions pour réguler la finance internationale. Selon l’association Attac, il y a notamment : « la taxe sur les transactions financières, l’interdiction du trading à haute fréquence, approfondissement du reporting public sur l’activité des banques pour chaque filiale dans chaque pays afin de contrôler les recours abusifs aux paradis fiscaux, ou encore, l’arrêt des subventions et des investissements aux énergies fossiles »4. La taxe la taxe Tobin permettrait de diminuer la spéculation financière, avec une simple petite taxe sur les transactions de capitaux. De plus, les gains liées à cette taxe permettraient de financer une large part des besoins sociaux et écologiques actuels. « Selon Ramonet, « au taux de 0,1 %, la taxe Tobin procurerait, par an, quelque 166 Mds de dollars, deux fois plus que la somme annuelle nécessaire pour éradiquer la pauvreté extrême d’ici au début du siècle (…).  En macroéconomiste prudent, James Tobin n’ignore rien des limites de sa Taxe Tobin: coûts de gestion, possibilités d’investissement perdues, fraudes multiples… Mais, il estime qu’ils sont bien inférieurs aux bénéfices attendus de sa taxe ».»5.

L’économie financière se compose de plusieurs marchés dont les marchés en actions, les marchés obligataires, les marchés dérivés, les marchés des changes… En 2018, les activités de marchés financiers des grandes banques européennes représentent plus de 70% de leurs activités et s’élèvent à 33 300 Mds$. L’encours du marché obligataire en 2014 était de 100 000 Mds$ alors qu’il était dix fois moins important 20 ans avant en 1990. Ce marché a augmenté 2,7 fois plus vite que le PIB mondial, qui s’élevait à 75 000 Mds$ en 20186. Taxer même partiellement, ces différents flux financiers permettrait donc de financier de nombreux emplois sociaux et écologiques afin d’éradiquer la majorité du chômage et de la famine dans le monde.

Pour avoir une petite idée de l’immensité des montants circulant dans les marchés financiers mondiaux, voici quelques chiffres en Téra dollars, c’est à dire, en milliers de Mds de dollars. L’économie financière mondiale se composait principalement des marchés dérivés (2 288 000 Mds$, soit 66%), des marchés de changes (1 058 000 Mds$, soit 31,8%) et des marchés financiers (77 000 Mds$, soit 2,2%), leur montant total s’élevait à 3 424 000 Mds$, en comparaison au PIB mondial à 54 000 Mds$, soit 1,6% seulement ou 64 fois moins, en 20077 ! En 2018, le montant des marchés financiers mondiaux reste comparable à celui de 2007, avec 74 525 Mds de dollars en 20188 donc pas très loin des montants de 2007. En 2017, il y a eu une éphémère progression à 92 412 Mds de dollars, avant de retomber en 2018.

Cependant, cela parait insignifiant, par rapport aux montants des marchés dérivés (2288 000 Mds$, soit 66%) en 2007. De plus, ce marché a explosé plus de 10 ans après. L’ensemble des encours sur les marchés dérivés représentait en mai 2016… 1,2 « Quadrillion », c’est à dire… 1,2 million de Mds de dollars!… Donc, « bien au-delà de toutes les entreprises et entités cotées sur l’ensemble des places boursières mondiales, 70 « Trillions », c’est à dire, 70 milliers de Mds de $ »9. A l’aune de ces montants vertigineux, on comprend qu’une simple taxe de 0,1%, ou même de 0,01% permette de collecter des montants conséquents vers l’économie réelle, afin de les redistribuer en faveur d’actions sociales et écologiques.

Taxer les mouvements de capitaux permettrait aussi de diminuer la perte de recettes fiscales liées à l’évasion fiscale, puisqu’il serait plus compliqué de les faire circuler. Mais, cela ne suffirait pas à les endiguer complètement, par exemple, le transport non déclaré et donc illégal de valises de billets serait toujours possible.

La régulation internationale des flux financiers peut s’opérer sans ou avec une politique de relocalisation économique. Une régulation financière internationale viendrait renforcer les actions de relocalisation nationale de la production, du commerce et des finances dans les nations qui le décident.

Cette régulation financière internationale serait plus légitime dans le cadre des Nations-Unies. C’est pourquoi, le Collectif la finance au citoyen propose de mettre en place à l’ONU, « une instance politique multilatérale d’encadrement et de supervision des systèmes financiers permettant à chaque pays de participer à l’élaboration et à l’approbation des réglementations financières »10. En effet, l’ONU s’avère plus légitime, puisqu’elle regroupe la quasi-totalité des nations et que lors des votes, chaque pays dispose d’une voix égale aux autres, quelle que soit leur taille. A la différence des instances de régulation financières publiques internationales, telles que les banques centrales nationales, la Banque centrale européenne, la BRI (Banque des règlements internationaux, c’est à dire, la Banque des banques centrales), le FMI (le Fond monétaire international) et la Banque mondiale. Dans deux dernières institutions, les droits de vote sont proportionnels aux prêts opérés. Ce sont donc les USA, l’Union européenne qui se montrent les plus influents. Le FMI, la Banque mondiale et la BRI sont dirigés par les représentants des nations les plus puissantes. Ils mènent dans ces institutions et dans le monde des politiques économiques libérales et n’entendent pas en changer actuellement. Cependant, à l’origine de l’ONU, le FMI, la Banque mondiale et le GATT (rebaptisé depuis OMC, l’Organisation mondiale du commerce) appartenaient aux Nations-Unies et dépendaient d’eux. Or, les membres du G8 ont manœuvré pour les en faire sortir de la sphère de pouvoir de l’ONU, parce que l’Assemblée Générale, l’organe souverain de l’ONU, n’était pas suffisamment dominée par les membres du G7, qui représentent les 7 nations les plus puissantes. Il est donc probable, que si une nouvelle instance de régulation internationale devenait véritablement puissante vis à vis de la finance mondialisée, le G7 tenterait d’opérer la même manœuvre à nouveau, si leurs électeurs de ces nations n’étaient pas suffisamment vigilants. Ces choix résultent du fait que le pouvoir des principaux dirigeants du système capitaliste repose sur la propriété privée des moyens de production financiers (telles les banques privées), mais aussi, des moyens de production industrielle. Les gouvernements des nations ne parviendront pas à s’émanciper de leur pouvoir. Sauf à changer de système, c’est à dire, à passer à un système écosocialiste par exemple, ou la propriété des moyens de production deviendrait majoritairement collective privée (les coopératives de travailleurs) et collective publique (telles des banques socialisées, c’est à dire, démocratisée).

L’autonomie économique des nations serait renforcée par la relocalisation des investissements directs à l’étranger. Selon l’OCDE, ces derniers consistent pour un investisseur à développer des filiales à l’étranger. Pour cela, il peut soit intervenir par la création matérielle d’une filiale entièrement nouvelle, soit acquérir une entité étrangère déjà existante, soit procéder à des fusions-acquisitions transfrontalières, soit accroitre les capacités de production de filiales déjà existantes par apport de fonds, soit injecter des fonds pour soutenir l’activité d’une filiale en difficultés financières11.

En 2017, les flux mondiaux d’investissement étranger direct (IED) s’élevaient à 1 430 Mds de dollars. En 2017, les investissements directs français à l’étranger (IDFE) s’établissent à 51,6 Mds€12, tandis que le PIB français s’élevait à 2 065 Mds€ soit de 2,4%13. Cela reste relativement modeste. Ces montants sont donc mineurs par rapport à la production de richesse de la France. Néanmoins, s’ils étaient investis en France, ce serait autant d’argent supplémentaire pour développer la production locale, par exemple, créer des emplois écologiques. Dans le cadre d’une politique de relocalisation cohérente, ce mouvement de relocalisation des investissements directs à l’étranger s’opérerait dans l’ensemble des nations. Cependant, la France qui s’avère un des principaux bénéficiaires des IDE, perdrait ces derniers. En effet, il est difficile de gagner sur tous les tableaux, lorsqu’on cherche à mener des politiques cohérentes.

Nous avons donc observé les différents flux économiques, qui pourraient être majoritairement relocalisés à la fois pour des raisons d’autonomie, de stabilité économique, de protection des emplois et des entreprises les plus fragiles. Ces relocalisations permettraient aussi de diminuer les émissions de CO2 et de limiter la consommation de ressources non renouvelables, tel le pétrole. Avant de rappeler les montants financiers à relocaliser, rappelons quelques ordres de grandeur, afin de mieux en évaluer les montants. Le PIB de la France s’élevait à 2 065 Mds€14 et le budget de l’Etat français était 417,4 Mds€ en 2017 et de 424,7 Mds€ en 2018.

Les 4 secteurs nationaux susceptibles d’être relocalisés et/ou régulés sont :

– les exportations françaises  (21% du PIB en 2017, soit 433 Mds€),
– les importations françaises (24% du PIB en 2017, soit 495 Mds€)15,
– les investissements français directs à l’étranger (51 Mds€ en 2017)16.
– l’évasion fiscale française dans les paradis fiscaux (100 Mds€ en 2018 ! )17 soit, 23% du budget de l’Etat français, l’équivalent du budget de l’Education nationale ! Donc, près de 50 fois les montants nécessaires à combler le trou de la sécurité sociale, qui accusait un déficit de 2,2 Mds d’euros en 2018…

Ces montants se révèlent relativement important par rapport au PIB français et plus encore, en comparaison du budget de l’Etat français. Cependant, ils s’avèrent ridiculement petits, au regard des sommes circulant sur les marchés financiers mondiaux avec 78 000 Mds$ en 2007 et de 74 525 Mds de dollars en 201818, donc, pas très loin des montants de 2007. Mais, il y a pire, les montants des marchés dérivés qui s’élevaient à 1,2 million de Mds de dollars en mai 2016 ! …19 . A l’aune de ces montants astronomiques, on comprend qu’une simple taxe de 0,1%, ou même de 0,01% permettrait de redistribuer des sommes conséquentes vers l’économie réelle, afin de réaliser des actions sociales et écologiques, dans les différents pays du monde.

Pourtant, en 2008, selon l’Organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), il suffirait de 30 mds dollars/an pendant 25 ans pour éradiquer la famine mondiale (…). Or, « les déchets alimentaires annuels atteignent 100 Mds de dollars et que l’excès de consommation des personnes obèses dans le monde coûte 20 Mds de dollars »20.

En 2015, soit quelques années après, la FAO a réévalué les montants qu’elle jugeait nécessaire pour éliminer la faim dans le monde d’ici à 2030. Elle estime qu’il suffirait d’investir 267 Mds de dollars (239 Mds d’euros) par an pendant les quinze prochaines années21. En effet, cela représente moins du quart des 1 200 Mds$ de dépenses d’armements annuels dans le monde22.

Les investissements à l’étranger et les exportations relèvent de l’économie réelle et leur valeur correspond donc à des biens réels. A l’inverse de la richesse des marchés financiers et des marchés dérivés qui s’avère une richesse en partie virtuel car spéculative. Si les marchés financiers étaient relocalisés nationalement, une grande masse de la richesse financière resterait dans le pays d’origine. Cependant, leur volume diminuerait, car la spéculation s’amoindrirait. C’est à dire que la bulle financière virtuelle se dégonflerait. Néanmoins, les montants resteraient considérables et contribueraient au développement d’une économie sociale et écologique, qui soit une économie réelle et locale.

Thierry Brugvin
est Docteur en sociologie
Dernier livre paru : « Qui dirige le monde : la finance, l’idéologie, la psychologie… » ?

1) Christian DOMPTIN, « Libre circulation des capitaux : comment en est-on arrivé là ? », Alternatives Economiques, n°151 – 09/1997.
2)MARINI Philippe, « Rapport d’information sur la régulation financière et monétaire internationale », Commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation, Annexe au procès-verbal de la séance du 22 mars 2000, N° 284.
3)DOMPTIN, 09/1997
4)ATTAC, Prenons le contrôle de la finance, LLL, 2018
5)RAVEAUD Gilles, « Taxe Tobin : 40 ans et toujours pas majeure », Alternatives Economiques, 10/2018.
6)SECOURS CATHOLIQUE – CARITAS FRANCE, INSTITUT VEBLEN, FINANCE WATCH, La Finance aux citoyens, Mettre la finance au service de l’intérêt général, Secours Catholique, 2018
7)ORIN François, L’hypertrophie de la finance globale, http://www.financeglobale.fr/La_finance_globale/Tableau_de_synthese.html
8)AMF, Cartographie 2019 des marchés et des risques, AMF, 2019.
9)BFM Bourse, « Marché : Les chiffres inimaginables du marché des produits dérivés », BFM Bourse, 16 mai 2016, https://www.tradingsat.com/actualites/marches-financiers/les-chiffres-in….
10)SECOURS CATHOLIQUE, 2018
11)OCDE, Définition de référence des investissements directs internationaux, OCDE, Paris, 2008.
12)INSEE, Tableau de l’économie française, INSEE, 2019.
13)BANQUE MONDIALE, DONNEES 2017,
https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/NY.GDP.MKTP.CD?end=2017&st…
14)BANQUE MONDIALE, Données, 2017
15)BROCARD Sophie, « Commerce : qui échange avec l’Europe ? », Toute l’Europe, 13.04.2018.
16)BANQUE MONDIALE, Données, 2017.
17)Charlotte CIESLINSKI et Julien BOUISSET, « L’évasion fiscale », Le Nouvel Obs, 22 janvier 2019.
18)AMF (Division Etudes), Cartographie 2019 des marchés et des risques, Risques et tendances, AMF, juillet 2019.
19)BFM Bourse, « Marché : Les chiffres inimaginables du marché des produits dérivés », BFM Bourse, 16 mai 2016.
20)FAO, « Le monde a besoin de 30 Mds de dollars par an pour éradiquer le fléau de la faim », FAO, 3 juin 2008.
21)FAO, Achieving Zero Hunger, FAO, 2015.
22)FAO, 3 juin 2008.

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