La tutelle française sur le pouvoir tchadien depuis la mort d’Idriss Deby montre ses limites sur de nombreux plans. L’échec est là sous nos yeux, sur tous les plans et l’inquiétude de voir la situation se dégrader, est partagée par de nombreux Tchadiens.
Les autorités françaises ont pesé de tout leur poids pour contrer l’Union africaine (UA) et éviter les sanctions contre le gouvernement. Leur forcing diplomatique n’a pas convaincu grand monde mais la loi du plus fort est toujours la plus efficace. Conséquence, les nouvelles autorités tchadiennes ont compris que le biberon médiatique et politique français sera là pour les nourrir et les défendre. C’est ainsi que toute la françafrique médiatique, à savoir, RFI, France 24 et même certains magazines panafricains, sont aux petits soins du CMT (Conseil militaire de transition) et des hommes au service de la France ; du Goukouni, du Acheikh, du Mahamat Kaka c’est, en veux tu, en voilà !
Toute cette gestion rapprochée ne peut dissimuler les échecs. Le premier échec a été l’erreur faite en prenant l’option d’empêcher le FCAT Front pour l’alternance et la concorde au Tchad) d’entrer dans Ndjamena et de mettre fin à 30 années de dictature, de mal gouvernance, de pillage organisé et d’appauvrissement des populations. Cette erreur a été rendue possible par le positionnement, en première ligne, des militaires français dans la gestion des affaires du Tchad. Les militaires ne proposent que des solutions militaires aux crises politiques. Et voilà, que les militaires français portent leur choix sur un militaire qu’ils ont rencontré au Mali pendant l’intervention française.
Le choix porté sur Mahamat Idriss Deby alias Mahamat Kaka est-il bon ?
Il faut bien préciser que Mahamat Idriss Deby n’a jamais eu une ambition présidentielle. C’était un excellent combattant loyal et courageux et c’est pourquoi, Deby l’a choisi pour veiller sur sa sécurité en le nommant Commandant de la garde présidentielle et il se préparait à mettre un de ses fils comme vice-président pour lui succéder.
Le plan français de succession a consisté à prendre les choses en main, très tôt, et, à menacer le FACT pour l’empêcher de pénétrer dans la capitale.
Un soutien militaire important fut apporté aux forces militaires d’Idriss Deby. Les experts français ont estimé, partant du principe que Mahamat Idriss Deby était un fils adoptif d’Idriss Deby, son ascension à la tête du pays serait accepté sans trop de difficultés, en outre, la France dispose de moyens pour créer beaucoup de problèmes en cas de refus des chefs militaires du Clan Deby. On leur proposa une espèce de gouvernance collégiale, c’est le CMT avec comme président, Mahamat Idriss Deby.
Sous Déby, les forces au pouvoir étaient constituées de la branche militaire surarmée aux mains des généraux du CMT et de certains officiers de la famille. Nous avons, ensuite, la branche des fils de Déby, qui estime que le Tchad leur revient en héritage et qu’ils ont des droits à défendre et enfin, la branche Hinda Déby Itno et ses réseaux d’affaires implantés au sein de l’administration et des sociétés pétrolières qui ont, ainsi, organisé un pillage des revenus pétroliers, monté toute une chaîne de monopole d’activités pour ensuite, se partager les fonds, ainsi, détournés. Une partie de sa famille a été positionnée à Dubai où des sociétés recueillent tout l’argent transféré du Tchad.
Toutes ces branches ont accumulé des sommes faramineuses pendant plus de trente années de pouvoir. Ils ont, ainsi, fait main basse sur toutes les ressources du pays. Est-il possible qu’ils renoncent à cette vie très facile ?
Non et non et ils l’ont démontré en se maintenant par la force et en assassinant tout ceux qui pouvaient représenter un danger. Qui pouvaient, seulement, être une menace. C’est dire.
Les Français, en laissant toutes ces branches riches, puissantes, armées en place avec leurs méthodes, faites de violences de toutes sortes, savaient très bien, car connaissant tous les antagonistes et les folles ambitions de chaque groupe, que ce schéma ne peut être producteur de paix, de sécurité et de réussite. Bref, qu’on aura toujours besoin de la France qui restera incontournable.
Cela fait bientôt 8 mois que le CMT est au pouvoir, coaché par toute une équipe de recrues au service du Comorien de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure) positionné à la présidence tchadienne. Pour être sûr d’être bien renseigné, le gouverneur comorien avait besoin d’hommes à son service. C’est pourquoi des hommes comme Acheikh, Goukouni, Abderamane Koullamallah, occupent la scène politique, sont à des postes clés pour dérouler le schéma français. Un constat : Idriss Déby ne leur faisait pas confiance, les a placardisés dans des postes de conseiller sans portefeuille. Les Français estimaient que promus et désormais sapés comme jamais, ils seront fidèles et feront le job de rapporter tout ce qu’ils entendent au sein des dites branches. Or, ce casting est l’autre erreur commise par les Français. Sans base politique, sans réseaux de soutien, sans poids réel, sans relations dans cette galaxie des Déby Itno, qui les entoure, ils sont là, sans possibilité même d’échanges avec les généraux du clan, ils gagnent du temps, sèment du vent, font de la grosse diversion pour endormir les populations et les jeunes, épuisés, sans avenir et sans espoir.
Etat des lieux de la gouvernance collégiale made in DGSE.
Le CMT composé des chefs de guerre du Clan Déby et ce majoritairement, est l’organe exécutif qui dirige, de manière collective, le pays. A plusieurs reprises, Mahamat Idriss Deby a parlé en disant « Nous avons décidé » et a même confirmé la gouvernance collégiale du Tchad qui sème aujourd’hui l’anarchie. Dans la foulée, le gouvernement est dirigé par Pahimi Padacke, homme de Hinda Deby, laquelle, continue de gérer les affaires de l’Etat, de la Villa Burkina où elle vit depuis la mort de Déby.
Mahamat Idriss Deby s’est senti isolé sans des hommes et femmes à son service exclusif. Il a alors mis en place une espèce de gouvernement bis à ses côtés à la présidence. Voilà la tambouille de la DGSE pour soi-disant réussir une transition.
Des institutions ont été créées pour caser toute la classe politique habituée à se partager les postes. La feuille de route du CMT devait assurer la sécurité des populations, réaliser la paix, la réconciliation et tenir le Dialogue national inclusif pour arriver à une transition réussie, et enfin, organiser les élections. Sécurité ? Où est elle ? En 15 jours, le nombre d’assassinats dans la capitale est hallucinant.
Paix et Réconciliation : les échanges avec les politico-militaires buttent sur des problèmes importants. La question de l’amnistie des rebelles a soulevé beaucoup de questions et une liste a fuité. Elle concerne les rebelles de l’UFR, sélectionnés, en premier, mais, dans laquelle, des noms de personnes ayant été condamnées, pour avoir assassiné leur épouse par exemple, ont été inclus. Une autre partie des rebelles attendent toujours d’être édifiés sur leur sort. Là aussi, les branches s’activent soit, pour prioriser certains, soit, pour bloquer les autres bénéficiaires.
La question des politico-militaires suppose une médiation internationale ayant une mission de suivi et offrant une garantie dans l’application des Accords en négociations. Là où pour le CMT, les pays partenaires ne sont que des observateurs à ces pourparlers.
Le sort des prisonniers de guerre du FACT exécutés par la branche dure du CMT est un problème épineux. Les autorités politiques françaises ont adoubé un pouvoir, qui exécute des prisonniers de guerre. On comprend que les tam-tams du CMT que sont RFI et consorts évitent soigneusement cette question. Enfin, le désarmement préalable posé par le président du CMT est un gros caillou sur le chemin de la paix et réconciliation.
Sans médiation internationale crédible assurant le suivi et l’application des Accords sur tous les points, on voit mal comment faire la paix.
Ainsi donc, plus le temps passe, plus les problèmes s’accumulent et la tension monte entre les différentes branches devenues des tentacules, qui étouffent les Tchadiens. Les points de conflits sont nombreux :
L’argent, tout d’abord : le trésor d’Amdjaress, véritable QG, le « Gbadolite » (village de Mobutu où il avait installé son palais devenu son lieu principal de travail, ndlr) d’Idriss Deby abritait des sommes considérables et on peut comprendre pourquoi Déby y passait tant de temps. Pomme de discorde importante entre les fils Déby et Hinda Déby, l’argent stocké à Amdjaress devait constituer des moyens de financement d’une guerre et être une base de repli, en cas de coup d’état contre Idriss Deby. Aujourd’hui, des rumeurs font état que Hinda a pris ce trésor et grâce au soutien français, l’argent a été sorti du Tchad pour un pays d’Afrique centrale. La famille Déby Itno toute entière court derrière ces fonds.
Les moyens militaires en hommes et équipement sont un autre point de frictions.
Le président du CMT, après avoir mis en place, une espèce de gouvernement-bis, a étoffé sa sécurité rapprochée. Les deux généraux du CMT membres du Clan Déby Itno contrôlent les équipements militaires et donc, tiennent la République en otage.
Ils constituent la plus grande menace pour Mahamat Idriss Déby. Leur raisonnement est simple : « la mort de Déby allait nous faire perdre le pouvoir. Les Français nous ont permis de rester au pouvoir, en nous laissant à nos positions financières importantes et ont fermé les yeux sur la confiscation de toutes les ressources du pays par tous les membres hommes et femmes du clan.
Nous avons, ainsi, accepté que Mahamat Idriss Déby soit à la tête de l’Etat. Ensuite, les Français nous aident à détruire le FACT. Une opération a été menée avec les Français contre les positions du FACT en Libye. Dès lors que la menace du FACT est prise en charge par les militaires français, pourquoi devrions-nous accepter Mahamat Idriss Deby à la tête du Tchad ?
Voilà le climat qui couve au Tchad. Des dépôts d’armes, des recrutements, des réunions… Hier, à cause d’un litige foncier dont le dossier est en justice et qui a opposé Hinda Déby à la famille d’un colonel zaghawa, à qui, Idriss Déby avait offert la villa en question, le colonel a été abattu dans la rue par des gens à moto. Les parents de la victime ont estimé que les meurtriers étaient les deux frères de Hinda. 10 véhicules lourdement armés ont mené une opération militaire au domicile de l’ancien ministre de l’Education nationale sous Déby, pour le tuer. Absents, lui et sa famille, de leur maison, les assaillants ont brûlé la villa.
Dans une capitale comme Ndjaména, il est impossible que 10 véhicules remplis d’hommes armés, puissent traverser la ville pour lancer une attaque sans que les responsables militaires soient au courant.
Cette affaire illustre parfaitement la sourde tension entre les branches des Déby et celle des Hinda qui sont étroitement imbriqués. Jugez-en !
Les deux tantes maternelles de Hinda sont mariées respectivement à Daoussa Déby (grand frère d’Idriss Déby) et à Oki Dagache( membre influent du CMT ). La petite sœur de Hinda est mariée à Bedeï Déby Itno (neveu d’Idriss Déby). Tous ces liens n’ont servi à rien du tout. Dès lors, qu’il est question de pouvoir et d’argent. Les couteaux sont entre les dents. Et tout le monde attend le prochain round. Le gouvernement a tenu une réunion d’urgence sur la sécurité dans la capitale.
Quoi de plus normal, avec autant de graves problèmes, que de s’offrir une promenade avec le retour des activistes. On reste interrogatif devant les urgences qui sont là, quasi-insolubles, et l’exploitation du retour de 6 activistes.
Le CMT a coupé une branche de l’activisme politique en France.
C’est un dimanche récent qu’un groupe d’activistes politiques installé en France, depuis une vingtaine d’années, est rentré au Tchad, mettant fin à leur engagement contre la dictature d’Idriss Déby.
Officiellement, il n’existait pas de démarches du CMT qui concernaient les activistes en France, cités nulle part. En revanche, le Quai d’Orsay les avait convoqués pour leur faire plusieurs remarques : sur le drapeau français qui était brûlé, piétiné lors des manifestations dans les rues de Paris. Sur d’éventuelles contacts avec les Russes, la nouvelle obsession des autorités françaises. Et les experts de la cellule françafricaine n’ont pas manqué, de leur montrer leur soutien au pouvoir de Mahamat Kaka. Ainsi donc, les choses se sont précipitées, sans trop d’efforts, de la part du gouvernement tchadien.
Le fruit était déjà mûr, il pouvait tomber tout seul de l’arbre. A leur arrivée à Paris, les membres du CTS (Comité technique spécial) ont pris langue avec les activistes qui étaient dans cette attente et n’ont pas posé des difficultés majeures : de l’argent, de la sécurité, un travail. Ce fut donc des demandes personnelles. Rien ne concerne le système politique mis en place depuis 31 ans qui a ruiné le pays, l’a mis à terre et qui les a maintenus hors du pays depuis plus de 20 ans pour certains.
Une audience avec Mahamat Idriss Déby a eu lieu. Et certainement dans la foulée, quelques nominations à venir. Certains ont, eux mêmes, proposé un poste qu’ils souhaitaient avoir.
On peut relever que les activistes n’ont pas attendu de connaître les dates de la tenue du Dialogue inclusif, pas attendu de voir la concrétisation des négociations avec les politico-militaires. Sans compter que même l’exécution des prisonniers du FACT n’a pas freiné l’élan du retour. Ni les assassinats ciblés de ces derniers jours, qui révèlent une tension politico-militaire autour du pouvoir. En fait, c’est finalement du chacun pour soi. Le CMT l’a bien compris.
Le retour au pays leur fera réaliser que leur activisme parisien gonflé artificiellement par la magie des réseaux sociaux, ne mobilise pas la majorité des Tchadiens. L’adossement de certains d’entre eux sur les réseaux français pour exister et être des relais d’informations dans les milieux tchadiens, est connu de tous et c’est ce qui fait la différence avec le discours musclé contre la politique française des autres mouvements panafricanistes sur le continent. Le gouvernement en mal de légitimité, exploitera médiatiquement ce retour qui apporte de l’eau à sa politique de paix et de réconciliation. Des efforts seront faits pour assurer une sécurité temporaire tant qu’ils seront en attente d’un travail. Certains se mettront au service du CMT, par intérêt, d’autres vont devoir se gérer eux mêmes.
Ce retour au pays a pour conséquence la restitution des documents français obtenus au titre de l’asile politique. Le voyage direct accompagné par les services officiels de l’ambassade du Tchad à Paris, met fin à leur situation de réfugiés politiques.
En finissant cet article, on apprend l’attaque contre le domicile de la première dame par un membre de la famille Itno Déby, ancien directeur de douanes et actuel aide de camp de Mahamat Idriss Deby.
Autant dire que c’est bel et bien une attaque contre le président du CMT, un acte bien préparé et organisé par les chefs qui ont en mains la sécurité du pays. Le message envoyé par cette attaque directe contre la famille du président du CMT est une injure, un défi. Cet acte signifie : « nous pouvons faire ce que nous voulons, y compris contre ta famille, ta femme et tes enfants compris. »
Il signifie, aussi, que beaucoup de militaires sont des hommes prêts à l’attaquer directement demain. Si vous ne le croyez pas, et bien, démonstration par l’attaque du domicile de son épouse et de ses enfants. Plus qu’une attaque, c’est une remise en cause de l’autorité du président du CMT voire son acceptation comme président qui est désormais rejetée par les généraux du CMT, qui sont derrière cette crise qui vise à semer le chaos dans la ville et à renverser Mahamat Idriss Déby.
Ndjamena est complètement sens dessus-dessous.
Le gouvernement qui, soi-disant, a fait une réunion d’urgence au sujet de la sécurité, n’a pas communiqué sur l’attaque du domicile de l’ancien ministre et frère de Hinda, tout comme c’est le silence, autour de l’attaque du domicile de la première dame, du jamais vu au Tchad.
Un véritable pied de nez est lancé au président du CMT car les assaillants sont connus et sont libres, planqués chez leurs parents. Défi aussi aux autorités françaises, qui ont mis ce schéma de gouvernance en plaçant Mahamat Idriss Déby à la tête du Tchad sans qu’ils puissent même assurer sa propre sécurité et celle de sa famille. Comment peut- il assurer la sécurité des populations tchadiennes ?
L’heure est grave, la branche militaire des membres du clan en connivence avec les politiques ont décidé de passer à la vitesse supérieure en refusant que Mahamat Idriss Déby reste à la tête du pays. Tout le monde attend le prochain acte, qui viserait alors directement le président du CMT. La tutelle française est au pied du mur du chaos à venir.
A suivre
Ngarlejy Yorongar
Député à l’Assemblée nationale du Tchad