Devenu président de la Transition au Tchad suite au décès de son père, Idriss Déby Itno, Mahamat Déby Itno sera, bientôt, confronté à un choix majeur. Doit-il continuer à faire allégeance à la France ou est-il venu le temps pour lui de s’affirmer en tant qu’unique souverain de son pays ? Cela dit, l’enjeu est peut-être ailleurs : quand il prenait la direction de la transition au lendemain de l’assassinat de son père, il avait été clairement dit, par consensus, qu’il ne pourrait jamais (jamais) se présenter à l’élection présidentielle qu’il se bornerait à organiser. Chemin faisant, le jeune président de transition a changé de discours, mettant du coup mal à l’aise tout le monde qui l’avait cru au premier coup. Depuis, on en est là, avec une transition qu’il risque de fausser lui-même à cause de son appétit du pouvoir.
Depuis son arrivée au pouvoir largement facilitée par le soutien du quai d’Orsay, Mahamat Déby Itno a montré deux visages (sur notre photo il est a Paris le 22 juin 2023 avec Emmanuel Macron). Celui d’un dirigeant, qui s’inscrit dans la même logique d’autoritarisme que son feu père, comme l’ont confirmé la traque aux opposants du régime en place, et les manifestations meurtrières du 20 octobre dernier. Médusée par ces événements, l’Elysée avait fait profil bas préférant passer par la Maison blanche pour rappeler le jeune général président à l’ordre, alors invité surprise du sommet Etats-Unis Afrique de fin 2022, quand aucun des autres putschistes du continent, quoi que beaucoup moins virulents, n’y avait été convié. La preuve de l’existence d’une allégeance entre Mahamat Déby Itno et les présidents français et américain, Emmanuel Macron et Joe Biden, illustrée quelques temps plus tard par la série d’actes posés par Mahamat Déby Itno que personne n’avait vu venir, tels que le limogeage du patron de la Sécurité publique, le général, Idriss Dokony Ader, et la vague de pardons présidentiels accordés aux Tchadiens soupçonnés d’avoir pris part au complot visant à assassiner son père, ainsi qu’aux violences du 20 octobre 2022. Des mesures qui laissèrent paraître un tout autre visage du président de la Transition.
En marge du Sommet pour le nouveau pacte financier mondial organisé, les 22 et 23 juin, à Paris, les autorités tchadiennes annonçaient avoir intercepté une unité de soldats français non loin de la frontière soudanaise. L’arrestation ayant été filmée et la vidéo postée sur la toile, les autorités des deux pays s’étaient empressées de prétexter un malentendu, qui ne convainquit personne. Les excuses du ministre tchadien de la Défense, le général, Brahim Daoud Yaya, ne suffisant d’ailleurs pas à dissuader le chef de l’Etat français de demander des comptes à son homologue tchadien lors d’un bref entretien, puisque cet épisode avait eu la fâcheuse conséquence de replacer dans un débat polémique, sous le feu des projecteurs, la Force armée française, Barkhane, qui faisait pourtant l’effort de se rendre discrète, ces derniers temps.
Donc, lorsqu’à l’occasion de la Tabaski, une dizaine de jours après le Sommet à Paris, Mahamat Déby Itno décida, cette fois, de pardonner à tous les opposants en exil, comme par exemple, Succès Masra, le chef du parti des Transformateurs, la machine à spéculations repartit de plus belle, surtout compte tenu du contraste de plus en plus frappant avec l’intransigeance affichée dans le passé par le président de la Transition à l’endroit des voix dissidentes. Mahamat Déby Itno ne jouissant pas d’une grande crédibilité auprès de ses populations, la seule explication pour cette seconde tentative d’apaisement, survenue en l’espace de quelques mois après la première, et au regard du timing du rendez-vous dans l’hexagone, était la main invisible de l’Elysée et de son occupant en chef.
Disposé à satisfaire aux diverses exigences de ses mentors occidentaux, notamment, en termes d’inclusion dans le processus de la Transition, le général, Mahamat Déby Itno, a jusque là fait montre de bonne volonté. Toutefois, le jeune dirigeant a ses propres visées. Acceptera-t-il de les mettre de côté allant ainsi à contrecourant du vent de revendication de souveraineté qui souffle sur l’Afrique depuis ces dernières années ? Certainement que non ! Se présentera-il en personne à l’élection présidentielle alors qu’il a toujours été question qu’il organise cette élection à laquelle il ne prendra pas personnellement part ? Et c’est précisément ce qui le conduira à engager un bras de fer avec ses soutiens occidentaux dont personne, pour le moment, ne connaît l’issue finale.
Paul-Patrick Tédga
MSc in Finance (Johns Hopkins University – Washington DC)