Les dirigeants français ont-ils essayé de se mettre à la place de Mahamat Idriss Déby pour savoir pourquoi il s’est rendu à Moscou ? A un moment où la France montre qu’elle ne peut plus protéger personne en Afrique, se sont-elles mises à la place du jeune dirigeant dont tous les partenaires de la sous-région ont ou sont en train de signer avec la Russie ? Son grand voisin du Sud, le Cameroun n’a-t-il pas conclu un grand accord de coopération militaire avec la Russie en pleine guerre avec l’Ukraine au moment même où les Occidentaux faisaient tout pour isoler la Russie ? Le ministre camerounais de la Défense s’était rendu (ni vu ni connu) utilisant les voies les plus compliquées pour arriver à Moscou où il a signé ledit accord. Plus proche de nous, le G5 Sahel, une Force anti-djihadiste, créée par la France pour combattre le terrorisme dans le Sahel, ne vient-il pas de voler en éclats à cause du fait que la France n’y mettait ni les fonds ni le matériel militaire adéquat ? Ses membres à l’exception de la Mauritanie, n’ont-ils pas tous signé des accords militaires avec Moscou ? Depuis quelques jours, on parle des soldats russes qui viendraient à Ouagadougou assurer la sécurité du capitaine-président, Ibrahim Traoré. Toutes ces questions (il y en a d’autres) ont dû pousser le président tchadien à faire comme les autres, à se reprocher de Moscou. D’où son déplacement en Russie le 23 janvier. Il n’était que temps. Ce voyage n’a pas fait plaisir à grand monde dans l’Hexagone. Présent à Paris, quelques mois auparavant, le jeune dirigeant tchadien s’est rendu à Moscou sur invitation de son hôte et homologue, Vladimir Poutine, qui lui a déroulé le tapis rouge, au plus grand dam de la diplomatie française. Pour Vladimir Poutine, le pied de nez fait aux Français est le bienvenu, lui, qui qualifie, en privé, le président français de « petit fanfaron ». Emmanuel Macron, d’ailleurs, le lui rend bien en public, à chaque fois qu’il en a l’occasion.
En le recevant ainsi, l’homme fort du Kremlin a sorti la carte de la séduction, faisant état de ses ambitions de collaboration avec le très probable futur président, démocratiquement, élu du Tchad. Cet Etat sahélien étant d’une importance stratégique pour toute nation non-africaine, qui souhaite s’implanter en Afrique. Ce qui est le cas de la Russie, tenue à l’écart pendant des années par la France et ses alliés occidentaux.
Mahamat Idriss Déby, qui est conscient des intérêts que suscite sa nation au sein de la communauté internationale, entend en tirer profit au maximum. A peine avait-il déjà foulé le sol de Moscou que son ministre des Affaires étrangères, Mahamat Saleh Annadif, recevait une demande d’audience d’un haut gradé de l’armée française, le général, Marc Olivier, venu exprimer le désir urgent d’un renforcement de la coopération entre Paris et N’Djamena. Fruit du hasard ou réaction forcée ? Difficile à dire.
Le fait est que la diplomatie française est au plus mal avec les pays africains, l’année 2023 ayant été la pire de son histoire. Espérant avoir tourné la page des mauvaises nouvelles provenant de l’Afrique, les diplomates français succomberaient à coup sûr à l’idée d’un divorce avec le Tchad, l’ultime bastion de la Françafrique. C’est la raison pour laquelle ils se gardent, autant que possible, de manifester leur ressenti concernant la rencontre entre les présidents russe et tchadien. Une retenue à laquelle ils devront désormais s’habituer, la souveraineté nationale étant devenue le nouveau motto des pays africains.
Parachuté à la tête du Tchad, suite à la mort de son feu père, Mahamat Idriss Déby parvient à naviguer dans les eaux troubles des conflits d’intérêt entre les superpuissances mondiales. Réussira-t-il à faire du Tchad la première ancienne colonie, dirigée par une junte, capable de faire cohabiter la France et la Russie, en ces temps oú l’Occident tout entier est vent debout contre l’ogre russe ?
Paul-Patrick Tédga
MSc in Finance (Johns Hopkins University – Washington DC)