TOGO : Il y a vingt ans partait définitivement le Sage

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C’est le 5 février 2005 que la nouvelle du décès de celui qu’Afrique Education appelait « Le Sage », vint bousculer les agendas car au Togo, comme en Afrique de l’Ouest, et en Afrique tout court, tout n’allait plus être ou se faire comme avant. Président du Togo pendant 38 ans, il a bâti ce pays sur du solide (alors que certains illuminés dénigraient son travail de son vivant), la preuve, son digne successeur, Faure Gnassingbé, en place depuis une vingtaine d’années, gère le pays avec un savoir faire certain de telle sorte que le Togo, de près ni de loin, se trouve à la une d’une actualité qui alimente les faits divers des journaux internationaux. Si ce n’est pas un mérite, c’est quoi alors ? Il faut reconnaître les hauts faits de ce grand homme (que j’avais personnellement du plaisir à rencontrer chaque fois car ce que je tirais de nos échanges, était des connaissances de première main pour mes éditoriaux et même pour la rubrique « Top Secret » que me conseilla de créer mon feu frère et ami, Koffi Panou, son dynamique ministre des Affaires étrangères, homme des missions difficiles à l’international.

Je peux revendiquer une certaine proximité d’avec le Sage. Je le connus trop (trop) tard, à l’occasion du 5e séminaire du REJASEF (Réseau des journalistes africains spécialisés en éducation et formation) que j’organisai, début février 1999, à Lomé (voir troisième de couverture d’un numéro d’Afrique Education). Les participants venant de tous les pays africains francophones de l’Ouest et du Centre, émirent le souhait d’aller « saluer le président ». Je transmis ce voeu à Wiyao Eualo, son collaborateur chargé de la presse, qui fit valider cette requête. La réponse ayant un peu tardé, c’est un samedi matin que le Sage nous reçut à Lomé 2 (sa résidence de fonction) alors que la veille au soir, certains participants avaient pris leurs vols Air Afrique à destination de leurs pays respectifs. Les journalistes sont toujours contents quand ils rencontrent un chef d’Etat. Pour l’occasion, le Sage leur fit servir des brochettes et du champagne et remit à chacun de quoi faire des courses pour garder un bon souvenir du Togo. En nous raccompagnant à l’hôtel Le Bénin que dirigeait mon ami Koudéma Massayou où j’avais logé tout le monde, Wiyao Eualo me fit savoir que le Sage a émis le souhait qu’Afrique Education couvre les élections législatives (boudées par l’opposition) qui allaient se tenir un mois plus tard. Ce que je fis en sélectionnant un journaliste gabonais, camerounais, sénégalais et ivoirien. Tout se passa bien. Afrique Education eut la primeur de l’interview avec une pleine page du Sage sur la couverture, ce qui énerva un peu au ministère français de la Coopération car pour eux, la revue était éducative et ne devait pas se lancer dans la politique. C’était leur point de vue. Pas le mien. Wiyao Eualo me conseilla de venir remettre en mains propres le magazine au Sage qui contenait son interview et sa photo en une. Je fus reçu un samedi matin à Lomé 2 où Le Sage, tout content, me confia ceci : « Paul, je n’ai jamais trahi mes amis. Ce sont mes amis qui me trahissent toujours. Il y eut un temps (avant la terrible Conférence nationale qui faillit lui faire perdre le pouvoir, ndlr), où dans ma cour, il n’y avait pas de place pour s’assoir à cause du monde qui souhaitait me rencontrer. Aujourd’hui, tu vois que ce n’est plus le cas. Mes amis sont partis d’eux-mêmes après s’être rendu compte qu’ils m’avaient lâché très tôt et la honte fait qu’ils ne peuvent plus venir me voir ». En tout cas, je retins cette leçon de fidélité venant de ce grand président et nos multiples entretiens m’ont beaucoup aidé à façonner le contenu d’Afrique Education. Je ne cesserai jamais de le remercier.

Dans nos échanges, le Sage me recommandait, souvent, de toujours dire la vérité, quel qu’en soit le coût et d’éduquer, ainsi, les lecteurs de la revue. D’où nos vérités parfois crues, sans filtre, que nous distillons et qui amusaient beaucoup le patriarche Ondimba au point où il fut, en dehors du Sage, l’un de mes grands fournisseurs d’anecdotes.

J’ai souvent dit qu’à mon âge, on ne ment plus car on n’a peur que de Dieu. En 2001, le président, Blaise Compaoré, du Burkina Faso, m’envoya un message, à Paris, par le biais de son conseiller personnel qui était malien de nationalité, qui disait ceci : « Le président me charge de vous dire que toute vérité n’est pas bonne à dire. Il dit beaucoup vous aimer et il ne souhaite pas que vous finissiez comme Paul Bernetel (qui fut trouvé assassiné au petit matin au Brésil à cause de ses prises de position, ndlr). Je reçus ce message 5/5 et promis au président, Compaoré, de dire la vérité mais en restant responsable et conscient des dangers.

En 2002, je proposai au Sage de noter ses ministres. L’idée le remplit de joie. Je lançai la rubrique en demandant à tous les lecteurs (surtout togolais) de noter les ministres du Togo et d’expliquer les raisons de la note qu’ils donnaient. Le succès de cette rubrique fut total. A titre d’exemple, le ministre de la Défense obtint moins de 5/20. Colère bleue de sa part. Le président de l’Assemblée nationale (qui n’était pas concerné car ne faisant pas partie du gouvernement) obtint un lamentable 0/20, suscitant énormément de commentaires. Les notes affluaient les unes plus mauvaises que les autres. Je commençai à recevoir, également, des menaces non voilées. Lors d’un déplacement à Lomé, j’en parlai au Sage qui m’encouragea à continuer. Mais, une fois arrivé en France, j’arrêtai cette rubrique. Le Sage le constata (à son grand regret) mais il se garda bien de m’en faire la remarque, ayant sans doute compris que ma sécurité était menacée.

Le patriarche Ondimba et le Sage Eyadèma jouaient un grand rôle en Afrique centrale pour le patriarche et en Afrique de l’Ouest pour le sage. Je peux en témoigner.

Une anecdote pour terminer : un jour, j’appelle mon ami, l’ambassadeur du Togo en France, Tchao Sotou Bere, pour qu’il me conseille parce que je voulais faire interviewer l’épouse du Sage. L’ambassadeur éclata de rire et au lieu de m’aider, il préféra m’envoyer chez le ministre de la Communication, Pitang Tchalla. Je n’eus aucune réponse de ce dernier au regard de la délicatesse du sujet, mais je ne fus pas découragé. Quand, quelques jours après, le Sage me reçut à Pya, sur son balcon, je lui fis part de cette proposition qui me tenait à cœur. Il pouvait s’attendre à tout mais pas à une telle question de moi. Il resta sans mot dire pendant près d’une minute et quand il reprit la parole, il me lança : « Paul, tu sais que je ne te refuse rien. Tu feras ton interview ». L’interview réalisée par une amie-écrivaine eut lieu avec la première dame, Badagnaki, ce qui déclencha une avalanche d’interviews des autres épouses du Sage. Je compris les raisons du non-choix de l’ambassadeur et du ministre. Ils ne voulaient pas se sacrifier… C’est pour dire que rien n’était tabou entre le Sage et moi et nous parlions à cœur ouvert de toutes sortes de sujets. On peut comprendre le coup de poignard que je reçus en regardant le 20 H de France 2 du 5 février 2005 qui annonça son décès, me plongeant dans une tristesse qui n’a, réellement, jamais disparu, même avec le temps.

Ma recommandation à son digne successeur : Un grand homme ne meurt jamais. Le Sage est toujours vivant dans nos cœurs, dans nos pensées, dans nos souvenirs. Vingt ans après ce coup de tonnerre dans le ciel chaud du Togo que fut sa disparition (prématurée), tout le monde a pu évaluer (a posteriori) qui il était vraiment. C’est le moment de faire un ouvrage sur lui à diffuser dans toutes les bonnes bibliothèques du monde entier (pas seulement des universités africaines) afin que sa mémoire reste vivace à jamais. Cet ouvrage devra retracer, bien entendu, sa jeunesse, mais surtout, son œuvre d’homme d’Etat dont l’excellent héritage qu’il a laissé à sa postérité, et qui ne se dément pas quand on regarde, aujourd’hui, le Togo dans le concert des nations d’Afrique de l’Ouest, d’Afrique et du monde.

Professeur Paul TEDGA

est docteur de l’Université de Paris 9 Dauphine (1988)

Auteur de sept ouvrages

Fondateur en France de la revue Afrique Education (1993)

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