Le dépôt de bilan d’Air Afrique, prélude à une liquidation des biens de la compagnie, est une catastrophe. L’ultime symbole concret d’une intégration africaine, du reste virtuelle, aurait dû, ne serait ce que pour cette raison, mériter un meilleur sort. Jusqu’en 1993, le niveau d’endettement d’Air Afrique bien que déjà excessif, était encore supportable. En plus, celle-ci disposait aussi d’un patrimoine en propriété notamment des avions et des immeubles.
A partir de 1994, les effets conjugués de l’acquisition imprévue des Airbus 310 à la veille de la dévaluation du franc cfa et du doublement mécanique de ces créances, du fait de cette même dévaluation, avaient aggravé la situation.
Il est vraiment dommage, au moment où Air Afrique n’a plus d’avions que l’on croise à l’aéroport de Roissy à Paris ses anciens DC 10 bradés à AOM au profit des Airbus 310 et volant actuellement sous les couleurs d’AERO CUBANA.
En plus, l’ensemble de ses biens immobiliers est hypothéqué. Dès l’année 1998, l’on aurait pu redresser la barre si l’on avait usé de la procédure de règlement préventif. Même encore maintenant, l’hypothèse d’une procédure de redressement judiciaire paraît vraisemblable, les conditions objectives d’une offre de concordat de redressement étant réunies, en application du Traité de l’Ohada (Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires). Entre autres initiatives, l’on devrait procéder à l’audit du contrat de cession-bail des airbus 310 du 22 avril 1991 et de l’avenant qui aurait été signé plus d’une année plus tard après leur restitution.
En effet, aux termes du contrat sus-cité, le bailleur aurait dû restituer au preneur le produit net de la vente de l’aéronef sous déduction des sommes à lui dues au titre du contrat, en cas de résiliation. Semble-t-il cette clause n’aurait pas été respectée.
L’on aurait dû aussi envisager une augmentation et une large ouverture du capital social. Pour tout le reste, la rénégociation de délais variables entre deux et trois ans et l’obtention d’une suspension des poursuites individuelles des créanciers pendant cette période était possible.
Le problème d’Air Afrique était donc surtout un problème de mauvaise gestion et de culture de l’impunité. Contrairement à une opinion généralement répandue, la pression et l’interférence des autorités politiques dans la gestion quotidienne de la compagnie n’étaient pas aussi suffocantes pour les directions générales successives. Celles-ci disposaient d’une marge de manœuvre largement suffisante. En réalité, c’était plutôt ces dernières qui avaient tendance à recourir aux Etats. La création d’une Nouvelle Air Afrique est une nécessité. Cependant, faudrait-il encore que celle-ci voit le jour rapidement et dans les meilleures conditions. Ce qui ne paraît pas acquis si l’on considère les contradictions, déjà perceptibles, entre une apparente volonté d’intégration et un relent de micro-nationalismes exacerbés. La solution pour éviter de tels écueils se trouve dans une finalisation rapide, de préférence avant la décision prononçant la liquidation judiciaire et les procédures d’exequatur subséquentes, des actes constitutifs de la Nouvelle Air Afrique.
Une chose est certaine, dans cet environnement de mondialisation et de globalisation de plus en plus généralisées, là où « les grands mangent les petits et là où seuls les plus forts survivent », ce serait une erreur historique et un bond en arrière de 40 ans, à contre courant, que de croire que les micro suppléer durablement une multinationale du genre d’Air Afrique.
Surtout que la tendance est désormais aux grands regroupements des compagnies aériennes, comme l’avait d’ailleurs suggéré aux Etats européens la Commission européenne après les attentats du 11 septembre 2001.
Le malheur d’Air Afrique, c’est d’avoir été considéré, bien à tort, comme un monopole, donc, un obstacle au libre échange. Il n’y a pas de monopole lorsqu’une compagnie aérienne n’emporte pas plus de 25% du trafic dans sa propre zone d’exploitation. Il n’y a pas de monopole lorsqu’il existe une libre cohabitation et une complémentarité entre Air Afrique et d’autres compagnies aériennes nationales. Il n’y a pas de monopole lorsqu’il n’existe aucune restriction à l’encontre des compagnies aériennes étrangères. Sauf, bien entendu, celles afférentes aux droits de trafic qui sont d’ailleurs universelles. Une libéralisation totale et sauvage de l’espace africain, sans garantie de réciprocité ni de contrepartie, serait fatale.
La libéralisation totale de l’espace aérien observée en Europe n’est profitable qu’aux seules compagnies aériennes européennes entre elles. De même, la libéralisation de l’espace aérien américain n’est profitable qu’aux seules compagnies aériennes entre elles.
Le problème du financement du plan social d’Air Afrique suscite interrogations et inquiétudes, surtout que le personnel de la compagnie se caractérise par sa mobilité et que les trois quarts des salariés sont des expatriés éparpillés sur quatre continents.
Dans ces conditions, ce serait dangereux de se débarrasser du problème du financement du plan social et de celui du rapatriement des salariés dans leur pays respectif entre les mais du Syndic. Aussi, les dernières propositions d’Air France avaient soulevé de grands espoirs. Malheureusement, très vite déçus car celles-ci comportaient en leur propre sein les germes de leur impossible réalisation. Il est objectivement et juridiquement inacceptable pour les personnes ayant un intérêt à agir, de renoncer à tous recours ou réclamations à l’encontre d’Air France et de ses mandataires en relation avec l’ancienne Air Afrique. La garantie de protection réclamée par Air France en relation avec la Nouvelle Air Afrique est sans objet, s’agissant d’un cas de liquidation judiciaire. De même, la reprise de 2000 salariés avec leur ancienneté est aussi impossible dans ces conditions.
Il est aussi impossible aux Etats de garantir Air France contre de tels recours et réclamations. Le conditionnement par Air France de son financement de la moitié du plan social à de tells renonciations ou garanties suscite des interrogations. L’on s’interroge aussi sur la réalité de l’apport d’Air France et sur la contrepartie de son choix, sans appel à la concurrence, comme partenaire technique, dès lors que l’on constate que la compagnie aérienne française se contente de proposer seulement, dans un cas, de prêter de l’argent à la Nouvelle Air Afrique pour le financement du quart du coût social et, dans l’autre cas, « d’acheter » en quelque sorte son impunité et sa tranquillité.
Enfin, il paraît incompréhensible que l’on ne puisse pas trouver des solutions au problème du financement du plan social et, de la sorte, à une alternative d’une éventuelle défaillance d’Air France.
Comment comprendre que pour la restructuration d’entreprises nationales de moindre importance, à moindres effet sociaux et à chaque fois concernant un seul pays, l’on parvienne à chercher et à obtenir des financements des bailleurs de fonds, alors que pour une institution multinationale comme Air Afrique, avec plus de 4000 salariés et des effets sociaux multipliés par cinq, rien n’est fait.
La banque mondiale, spécialisée pour ce genre d’opérations avait déjà proposé ses services dans le passé. La Convention CE-ACP de Cotonou prévoit des financements pour le désenclavement des pays enclavés (dont quatre membres d’Air Afrique) et pour encourager des initiatives d’intégration dont Air Afrique est l’illustration par excellence. Une chose est certaine, que ce soit avec Air France et/ou avec d’autres compagnies aériennes, les contraintes économiques du moment exigent des alliances que la Nouvelle Air Afrique, comme d’ailleurs pour toutes les autres compagnies aériennes du monde. Toutefois, celle-ci ne devrait pas pour autant y perdre son âme.
Pour l’instant, l’essentiel est de faire en sorte que la Nouvelle Air Afrique soit constituée immédiatement après la dissolution de l’ancienne Air Afrique, d’une part et que les salariés de l’ancienne Air Afrique ne soient pas jetés en pâture.
Hermann Soignet-Ekomo Est juriste-consultant et ancien chef de Département du contentieux d’Air Afrique Mel : b-ekomo@yahoo.fr