Manifestation citoyenne, cri d’alarme des forces de sécurité, multiplication des interventions politiques : l’inquiétude grandit et le débat s’emballe en Tunisie face à la perspective d’un retour de milliers de djihadistes, dans un pays, déjà, durement, éprouvé par les attentats.
Avec quelque 5.500 ressortissants ayant rejoint les rangs d’organisations djihadistes, selon des chiffres de l’ONU, la Tunisie est l’un des principaux pays au monde touchés par ce fléau, le premier au Maghreb, loin devant le Maroc (environ 1.300).
Parmi eux, des centaines sont, vraisemblablement, morts au combat. Pour les autres, la question de leur retour « se pose avec acuité puisque l’étau se resserre sur le groupe Etat islamique (EI ou Daesh), en Syrie et en Irak, mais aussi, en Libye », frontalière de la Tunisie, explique l’expert, Hamza Meddeb, chercheur auprès de l’Institut universitaire européen de Florence (Italie).
Le récent attentat de Berlin perpétré au nom de l’EI par un Tunisien de 24 ans, Anis Amri, a, aussi, mis en exergue ce débat : classé islamiste « dangereux », Amri avait vu sa demande d’asile rejetée par l’Allemagne et devait, après des mois de tractations avec Tunis, être expulsé vers son pays.
Vendredi, 23 décembre, au Parlement, le ministre de l’Intérieur, Hédi Majdoub, a révélé que 800 djihadistes tunisiens étaient, déjà, rentrés, et assuré que les autorités détenaient « toutes les informations sur ces individus ».
Mais, dans un pays traumatisé par une série d’attaques sanglantes, ces deux dernières années, ces déclarations n’ont pas suffi.
A l’appel d’un collectif citoyen, des centaines de personnes ont manifesté, samedi, à Tunis, pour dire « Non à la repentance et à la liberté pour les groupes terroristes ».
Le lendemain, le syndicat national des forces de sécurité intérieure s’est alarmé d’un risque de « somalisation » de la Tunisie, déjà, confrontée à des maquis djihadistes dans les monts de l’intérieur du pays.
Ces Tunisiens, qui « ont appris à manipuler toutes sortes d’armes de guerre », pourraient rejoindre les « cellules dormantes » du pays, et accepter leur retour (…) contribuera à élargir le cercle du terrorisme », a prévenu le syndicat, qui a appelé le gouvernement à les déchoir de leur nationalité.
Interdite par la Constitution, cette mesure a été balayée par le président, Béji Caïd Essebsi, dont les propos au début du mois, à Paris, ont, néanmoins, contribué à faire monter le débat.
« On ne peut empêcher un Tunisien de revenir dans son pays », « mais évidemment, nous allons être vigilants », avait-il dit. Il avait jugé impossible de « les mettre tous en prison, parce que si nous le faisons, nous n’aurons pas assez de prisons ».
« Mais nous prenons les dispositions nécessaires pour qu’ils soient neutralisés », avait-il ajouté.
Depuis, les prises de position se sont multipliées, du chef du parti islamiste Ennahdha, Rached Ghannouchi, à l’ex-directeur de campagne de M. Essebsi, Mohsen Marzouk.
Sur sa page Facebook, M. Marzouk, désormais, à la tête de sa propre formation, a estimé, lundi, 26 décembre, que « tout terroriste de retour » était une « bombe à retardement », faute « d’incarcération préventive ».
Pour Hamza Meddeb, « ce débat, comme tous les débats importants (des dernières années), commence, malheureusement, à polariser ».
Si les causes du djihadisme tunisien sont connues –contrecoup de la répression anti-islamiste sous la dictature, désordre de l’après-révolution, crise sociale–, la grande conférence nationale contre le terrorisme prévue en 2015 « a, sans cesse, été repoussée » pour des « questions politiciennes », poursuit-il.
Et il aura fallu attendre novembre 2016 pour voir l’adoption d’une « stratégie de lutte contre l’extrémisme », note l’expert.
Selon la présidence, celle-ci s’articule autour de quatre axes : prévention, protection, poursuites (judiciaires) et riposte. Mais, pour M. Meddeb, elle demeure « un gros point d’interrogation, son contenu n’ayant toujours pas été publié ».
La Tunisie a « les capacités matérielles pour gérer ces retours, même s’il s’agit d’une opération compliquée », estime le professeur d’histoire contemporaine et analyste, Abdelatif Hannachi.
« Il faut fonctionner par étapes, d’abord, enquêter, puis, recourir aux tribunaux et les isoler si nécessaire, afin de débuter leur réhabilitation ».
L’un des points faibles réside, selon lui, dans la trentaine de prisons tunisiennes où s’entassent, déjà, « près de 25.000 détenus ».
En mars, après s’être battues pour reprendre le contrôle des mosquées, les autorités ont lancé une campagne (« Ghodwa khir », « demain sera meilleur ») centrée sur les jeunes pour lutter contre l’extrémisme. Elle compte un volet à destination des prisons, également, touchées par ce phénomène.
Avec AFP